La Loire armor­i­caine, entre développe­ment et restau­ra­tion du fleuve

Aménagements fluviaux, dragages, perte de biodiversité : la Loire armoricaine se cherche une nouvelle voie

Pen­dant des décen­nies, la Loire armor­i­caine, située entre Nantes et Angers, a été amé­nagée afin d’améliorer sa nav­i­ga­bil­ité et ten­ter de relancer le traf­ic flu­vial. Une cen­taine d’années plus tard, face à l’urgente néces­sité de préserv­er son équili­bre, un pro­gramme de restau­ra­tion du fleuve est lancé. De quoi rebat­tre les cartes du développe­ment économique sur le fleuve.

Par Cécile Massin, jour­nal­iste indépen­dante en rési­dence à la Mai­son Julien Gracq, en Loire-Atlan­tique

Pub­lié le 19 mai 2025

Temps de lec­ture : 16 min

Le col retroussé, un guide ornithologique dans le sac, Michel Chap­lais est aux aguets. En ce début jan­vi­er, le jeune retraité écoute les chants des oiseaux qui peu­plent les bor­ds de Loire en péri­ode hiver­nale. “Tiens, je viens d’en­ten­dre une mésange bleue, sourit le nat­u­ral­iste, alors que devant lui s’élance un mar­tin-pêcheur, bien­tôt suivi d’une buse. Là, c’est une corneille”, pour­suit-il, avant de repren­dre sa marche le long de la prom­e­nade Julien Gracq, qui bor­de la Loire au niveau du vil­lage de Saint-Flo­rent-Le-Vieil, à mi-chemin entre Nantes et Angers.

Sur cette prom­e­nade tant et tant arpen­tée par l’au­teur du Rivage des Syrtes, Michel Chap­lais a ani­mé pen­dant près de vingt ans des balades nat­u­ral­istes pour le Cen­tre per­ma­nent d’ini­tia­tives pour l’en­vi­ron­nement (CPIE) Loire-Anjou. Et à marcher en sa com­pag­nie le long du fleuve, dif­fi­cile d’en douter. Entre l’his­toire des sternes naines et celle des aigrettes garzettes, le nat­u­ral­iste est incol­lable. “Au début des années 90, c’est aus­si ici que j’ai vu pass­er le Glo­rex pour la dernière fois”, détaille-t-il. En 1991, le pétroli­er est en effet le dernier à nav­iguer sur la Loire entre Nantes et Bouchemaine, aux portes d’Angers. Un an plus tard, en 1992, l’ex­trac­tion de sable est défini­tive­ment arrêtée dans le lit mineur du fleuve. Un tour­nant qui signe la fin d’une ère. 

Aménager la Loire pour relancer le trafic

 

Une ère mar­quée par “l’amé­nage­ment du fleuve à des fins économiques sans se souci­er de l’im­pact écologique pour­tant prévis­i­ble que ça aurait”, lan­cent d’une même voix Yves Ménan­teau et Jacques Bir­gand, attablés autour d’un café à Anetz, com­mune du bord de Loire située à mi-chemin entre Nantes et Angers.

Respec­tive­ment secré­taire et prési­dent du Comité pour la Loire de demain (CLD), qui lutte depuis vingt ans pour le rééquili­brage de la Loire, l’un comme l’autre doc­u­mentent de longue date les con­séquences provo­quées par la créa­tion, au début du 20e siè­cle, de cen­taines d’ou­vrages de nav­i­ga­tion entre Nantes et Angers. Par­mi ces ouvrages, les épis sont sans con­teste les plus incon­tourn­ables dans le paysage ligérien. “En hiv­er, on ne les voit pas bien car ils sont recou­verts d’eau. Il faut atten­dre que le niveau baisse pour qu’ils com­men­cent à se dessin­er”, souligne Michel Chap­lais.

Per­pen­dic­u­laires au fleuve, faits de roches et par­fois de bois, les épis ont été con­stru­its sous l’im­pul­sion de la société de La Loire nav­i­ga­ble, qui regroupait divers acteurs poli­tiques et économiques comme la Cham­bre de com­merce et d’in­dus­trie (CCI) de Nantes. Leur objec­tif, creuser grâce aux ouvrages de nav­i­ga­tion, un chenal pro­fond et réguli­er qui facilite la nav­i­ga­tion des bateaux et per­me­tte ain­si de relancer le traf­ic sur la Loire. “Jusqu’au 19e siè­cle, mal­gré les dif­fi­cultés de nav­i­ga­tion, la Loire a été la voie priv­ilégiée pour le trans­port de marchan­dis­es comme la chaux, le char­bon, le sel, le vin ou le bois, rem­bobine Yves Ménan­teau. Le traf­ic flu­vial a ensuite péri­clité très rapi­de­ment après l’ouverture de la ligne fer­rovi­aire Nantes-Orléans, pour­suit-il. Beau­coup pen­saient alors que relancer le traf­ic serait impos­si­ble sur ce fleuve de sable très irréguli­er, où les mariniers étaient con­cur­rencés par la rapid­ité et la régu­lar­ité du chemin de fer, mais cer­tains rêvaient de retrou­ver coûte que coûte la gloire passée du fleuve.” Mus par le rêve de faire du fleuve un trait d’u­nion entre le com­merce transat­lan­tique inter­na­tion­al et le marché européen, ceux-là plébisci­tent le retour du traf­ic flu­vial sur la Loire.

Des déséquilibres environnementaux majeurs

Sur ce point, le ver­dict est sans appel : la relance économique tant atten­due n’a pas lieu, à l’in­verse des travaux des­tinés à faciliter le pas­sage des bateaux sur le fleuve qui, eux, se pour­suiv­ent. “Pour aider la nav­i­ga­tion des sabliers et des pétroliers, venus de la raf­finer­ie de Donges [dans l’estuaire de la Loire, NDLR], des seuils naturels ont ensuite été sup­primés, pré­cise Emmanuel Brouard, doc­teur en his­toire, spé­cial­iste de la Loire et adjoint du pat­ri­moine à la bib­lio­thèque munic­i­pale de Nantes. Le plus emblé­ma­tique était le seuil de Belle­vue, à côté de Nantes”, con­tin­ue le spé­cial­iste, joint par télé­phone. De quoi boule­vers­er pro­fondé­ment l’équili­bre et le fonc­tion­nement du fleuve.

Au cours du 20e siè­cle, entre la con­struc­tion des ouvrages de nav­i­ga­tion, le creuse­ment d’un bassin à marée et les extrac­tions mas­sives de sable, estimées à 70 mil­lions de m3 – soit l’équiv­a­lent de qua­tre siè­cles d’ap­ports naturels – afin d’al­i­menter les secteurs des Bâti­ments et travaux publics et du maraîchage, le lit de la Loire “s’est enfon­cé d’un mètre aux Ponts-de-Cé et jusqu’à qua­tre mètres à Nantes”, entame Séver­ine Gag­nol, cheffe de l’u­nité ter­ri­to­ri­ale Loire au sein de Voies nav­i­ga­bles de France (VNF), lors d’une prom­e­nade sur les bor­ds de Loire. “Les annex­es ain­si que les bras sec­ondaires se sont asséchés et aujour­d’hui ils sont décon­nec­tés beau­coup plus tôt et sur de plus grandes péri­odes du bras prin­ci­pal. La vitesse du fleuve a égale­ment aug­men­té,” pour­suit-elle. Cela a engen­dré des déséquili­bres envi­ron­nemen­taux majeurs comme la baisse de la diver­sité des milieux aqua­tiques, et la diminu­tion des zones de repro­duc­tion et d’alimentation de cer­tains pois­sons, oiseaux, amphi­bi­ens, insectes et crus­tacés.

“Avant, on adaptait le fleuve aux bateaux, maintenant c’est l’inverse”

 

“Heureuse­ment, après plusieurs décen­nies de réflex­ion con­certée, on a fini par décider d’agir pour ten­ter de résoudre au mieux le dilemme entre Loire marchande et Loire vivante, con­tin­ue Yves Ménan­teau, secré­taire du Comité pour la Loire de demain. Avant, on adap­tait le fleuve aux bateaux, main­tenant c’est l’in­verse, les bateaux s’adaptent au fleuve.” En 1994, le Plan Loire Grandeur Nature (PLGN) est lancé afin de con­cili­er pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, développe­ment économique, et sécu­rité des biens et des per­son­nes face aux crues. “Depuis, les actions qu’on mène s’in­scrivent dans cet héritage”, développe Séver­ine Gag­nol alors que der­rière elle appa­raît, à côté du pont d’Ance­nis, la struc­ture d’une esta­cade flu­viale.

Dans cette ville ligéri­enne, l’ou­vrage de chantier a été instal­lé par l’étab­lisse­ment pub­lic d’État dans le cadre du pro­gramme de rééquili­brage du lit de la Loire qu’il mène depuis 2021 entre les Ponts-de-Cé et Nantes. “L’ob­jec­tif, c’est d’aider le fleuve à pro­gres­sive­ment restau­r­er son équili­bre en réduisant la pente d’é­coule­ment, ain­si qu’en recon­nec­tant les bras sec­ondaires avec le chenal prin­ci­pal, explique la spé­cial­iste. Pour ce faire, on a défi­ni plusieurs actions phares comme la recon­struc­tion du seuil de Belle­vue, et le rac­cour­cisse­ment, la sup­pres­sion ou l’abaisse­ment des épis sur des secteurs défi­nis entre Belle­vue et Mon­t­jean-sur-Loire. Si tout va bien, les travaux devraient finir d’i­ci à la fin de l’an­née, con­tin­ue celle qui cha­peaute un pro­jet estimé à 53 mil­lions d’eu­ros, mais on pour­rait imag­in­er que le pro­jet se pour­suive, par exem­ple avec le remod­e­lage des épis dans d’autres zones.” D’au­tant que si le pro­gramme de rééquili­brage, inscrit dans le Con­trat pour la Loire et ses annex­es (CLA), con­tin­ue à sus­citer des débats, il a fini par être “plutôt bien accep­té, assure la pro­fes­sion­nelle. S’il fait con­sen­sus, c’est aus­si parce que sur la Loire, il n’y a plus le même enjeu économique autour du traf­ic flu­vial”, pour­suit-elle.

“Une alternative intéressante au tout routier”

 

Est-ce à dire qu’à l’ère de la préser­va­tion du fleuve, le trans­port de marchan­dis­es n’a défini­tive­ment plus sa place sur la Loire ? A écouter Séver­ine Gag­nol, qui refuse d’op­pos­er de façon binaire préser­va­tion de l’en­vi­ron­nement et développe­ment économique, la réponse appa­raît autrement plus com­plexe. “Face au défi du change­ment cli­ma­tique, le trans­port flu­vial est une alter­na­tive vrai­ment intéres­sante au tout routi­er, ain­si qu’au fret fer­rovi­aire, qui souf­fre du manque de moyens”, argu­mente la cheffe de l’u­nité ter­ri­to­ri­ale Loire. “Chez Voies nav­i­ga­bles de France, on s’in­téresse donc de près à la ques­tion, et notam­ment sur la Loire, même s’il y a cer­tains freins à lever”, pour­suit-elle, alors que sur son site, VNF met explicite­ment en avant les avan­tages du traf­ic flu­vial. En 2024, sur l’ensemble du réseau géré par l’opérateur par exem­ple, le trans­port flu­vial a per­mis d’éviter l’émission de 396 000 tonnes de CO2, avec 44,1 mil­lions de tonnes trans­portées, soit l’équivalent de 2,2 mil­lions de camions.

Sur la Loire armor­i­caine, la pro­fes­sion­nelle vise notam­ment “les nom­breux chantiers qui se dévelop­pent le long du fleuve”. “La flu­vi­al­i­sa­tion du chantier du Cen­tre hos­pi­tal­ier uni­ver­si­taire de Nantes (CHU) n’a pas fonc­tion­né, mais ça pour­rait être le cas pour d’autres”, dit celle qui regarde égale­ment du côté d’Ance­nis. De fait, la ville de bord de Loire, située à une quar­an­taine de kilo­mètres de Nantes, accueille plusieurs groupes indus­triels pour­voyeurs d’emplois dans la région. “Il pour­rait être intéres­sant de flu­vi­alis­er une par­tie de la pro­duc­tion, avance Séver­ine Gag­nol, mais ça deman­derait de repenser tout l’ac­cès au fleuve.” Et d’a­jouter : “Ça néces­sit­erait aus­si de con­cevoir des bateaux moins pol­lu­ants”, autant que d’” accepter le principe d’une nav­i­ga­tion inter­mit­tente” com­plète Yves Ménan­teau.

Autant de pistes que la cheffe de l’u­nité ter­ri­to­ri­ale veut creuser, sans pré­ten­dre pour autant que “le trans­port flu­vial n’a absol­u­ment aucun impact sur l’en­vi­ron­nement”. Cer­tains pro­jets font notam­ment l’objet de vives cri­tiques, à l’image du pro­jet de trans­port flu­vial Green Dock, en Seine-Saint-Denis, accusé de sac­ri­fi­er la bio­di­ver­sité au prof­it du flu­vial, tout en par­tic­i­pant à un mod­èle ultra­l­ibéral. “L’idée c’est plutôt de se deman­der com­ment on peut relancer le traf­ic marc­hand sur le fleuve tout en respec­tant les impérat­ifs envi­ron­nemen­taux.”

Le rôle clé du tourisme fluvial

“Que l’on soit pour ou con­tre l’idée de relancer le trans­port de marchan­dis­es sur la Loire, ce qui est sûr, c’est que depuis la fin de l’ère de la nav­i­ga­tion marchande, il y a tout un mod­èle économique à réin­ven­ter, syn­thé­tise Jacques Bois­lève. Le traf­ic de marchan­dis­es pour­rait en faire par­tie, même si pour l’heure, cette nou­velle économie se car­ac­térise surtout par le développe­ment du tourisme flu­vial”, pour­suit l’an­cien jour­nal­iste de Ouest France. Auteur de nom­breux ouvrages sur la Loire, le Ligérien coule ses vieux jours dans sa mai­son de Varades, face à la Loire et l’ab­baye de Saint-Flo­rent-Le-Vieil qui l’a vu grandir.

Ce tourisme flu­vial joue un rôle d’au­tant plus impor­tant que la Loire armor­i­caine a eu du mal à trou­ver son moteur économique, coincée entre deux pôles attrac­t­ifs, l’es­tu­aire de Saint-Nazaire d’un côté et le Val de Loire, inscrit au pat­ri­moine mon­di­al de l’Unesco de l’autre”, ajoute-t-il alors que la sil­hou­ette d’une toue cabanée – ces bateaux ligériens recon­naiss­ables entre mille pour leur fond plat et leur large proue – se des­sine à tra­vers sa baie vit­rée. “Ces toues peu­vent servir aux balades touris­tiques le long du fleuve. On est en plein cœur de la nou­velle économie flu­viale”, pour­suit le retraité. En 2021, la fil­ière nau­tique représen­tait un chiffre d’af­faires d’en­v­i­ron un mil­liard d’eu­ros dans les Pays de la Loire.

Depuis le pont qui relie Varades à Saint-Flo­rent-Le-Vieil, la toue de Fabi­en Rol­let se recon­naît sans dif­fi­culté. Instal­lé à Notre-Dame-du-Mar­il­lais, celui qui dit s’être fait “piéger par la beauté de la Loire” pro­pose chaque année depuis 2020 des séjours de deux nuits min­i­mum à bord de sa toue, “Anguille-sous-roche”, entre mai et octo­bre. “En journée je nav­igue avec les pas­sagers pour leur mon­tr­er le fleuve et ensuite ils restent dormir sur place, explique le quadragé­naire, alors que son bateau quitte le quai pour une balade de fin de journée. Je veux que les gens puis­sent pren­dre le temps de regarder autour d’eux, de se con­necter au fleuve. C’est drôle, au début ils posent énor­mé­ment de ques­tions et ensuite, ils finis­sent par se laiss­er aller à la con­tem­pla­tion.” Et à nav­iguer avec lui à la tombée du jour, dif­fi­cile de ne pas finir par lâch­er son car­net de notes et son cray­on pour pren­dre le temps, juste­ment, de regarder autour de soi. “C’est ma façon à moi de par­ticiper à éveiller les con­sciences sur la néces­sité de préserv­er le fleuve, sourit le bate­lier. Si je pro­po­sais des séjours à la nuitée, je toucherais cer­taine­ment plus de gens, mais ça ne m’in­téresse pas. Je ne suis pas là pour faire du busi­ness ou trans­former la Loire en autoroute”, pour­suit celui qui, pour alert­er sur les défis aux­quels la Loire doit faire face, a aus­si coréal­isé le film ama­teur 50 ans plus tard.

Diversifier son activité

 

De retour sur la prom­e­nade Julien Gracq, deux autres toues atten­dent patiem­ment de par­tir voguer, Vent d’Soulair et La Cail­lotte. Avec l’une et l’autre, Matthieu Per­raud et Nico­las Guérin pro­posent eux aus­si des balades sur la Loire pen­dant la haute sai­son, mais à la dif­férence de Fabi­en Rol­let, les deux hommes sont d’abord pêcheurs de Loire. “Face à la baisse des pop­u­la­tions de pois­sons, ou plutôt devrais-je dire la dégringo­lade, on n’a pas eu d’autre choix que de diver­si­fi­er nos activ­ités”, com­mence Matthieu Per­raud. Dans la famille du trente­naire, on est pêcheur depuis dix généra­tions. La Loire, c’est un peu sa mai­son. “Aujour­d’hui, on ne peut plus vivre que de la pêche comme le fai­sait mon grand-père”, pour­suit-il, alors qu’avec Nico­las, ils se pré­par­ent à par­tir en bateau récupér­er leurs nass­es à lam­proies, fin de sai­son oblige.

Sur le bassin de la Loire, les pro­fes­sion­nels de la pêche en eau douce ne sont plus qu’une poignée – une soix­an­taine d’après les dernières esti­ma­tions, con­tre plusieurs cen­taines il y a cinquante ans. Comme les deux acolytes, nom­breux sont ceux à témoign­er de leur inquié­tude face à la baisse de pop­u­la­tion des pois­sons migra­teurs comme l’alose ou la lam­proie flu­vi­atile, classée espèce vul­nérable par l’Union inter­na­tionale pour la con­ser­va­tion de la nature (IUCN). “On dit que c’est de notre faute, mais on est les pre­miers à en faire les frais, insiste Nico­las Guérin en hissant une nasse hors de l’eau. Comme on a été obligé de se diver­si­fi­er, on prof­ite de nos balades en toue pour sen­si­bilis­er à l’évo­lu­tion de notre méti­er et aux impacts du change­ment cli­ma­tique.” Et de renchérir : “Par con­tre, il y a tourisme d’eau et tourisme d’eau. Entre les balades en toue qu’on pro­pose et celles du Loire Princesse, il n’y a pas grand-chose en com­mun.”

A voir l’imposant Loire Princesse passé sous le pont de Saint-Flo­rent-le-Vieil en ce début avril, dif­fi­cile de don­ner tort au pêcheur. Mis en ser­vice en 2015, le bateau de croisière appar­tient à la société CroisiEu­rope, qui pro­pose des croisières du Mékong au Gange en pas­sant par l’A­ma­zonie et l’Afrique aus­trale. A lui seul, le Loire Princesse peut trans­porter jusqu’à 96 pas­sagers. “Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas sur les mêmes échelles ni sur le même lien au fleuve”, lâchent les deux pêcheurs, dont l’activité a récem­ment été cro­quée par le dessi­na­teur flo­rentais d’adop­tion, Gwen de Bon­neval, dans le dernier hors-série de la Revue 303 con­sacré à la Loire.

L’importance du “tourisme fluvestre”

 

Au fil des pages de ce volu­mineux et très bel hors-série appa­raît la sil­hou­ette d’un cycliste, affairé à remon­ter les quelque 900 kilo­mètres de la Loire à Vélo. En par­al­lèle des balades flu­viales, le vélo “fait indé­ni­able­ment par­tie de la nou­velle économie qui se développe non pas sur le fleuve, mais à côté”, con­firme Jacques Bois­lève. En bord de fleuve, les dires du Ligérien se véri­fient sans dif­fi­culté : un casque vis­sé sur la tête, des sacoches solide­ment attachées à l’ar­rière du vélo, petits et grands sont nom­breux à prof­iter de l’ar­rivée du print­emps pour rouler le long de la Loire. “Je suis par­tie de Nantes et là je file vers Angers retrou­ver des amies, sourit une cycliste. Ça me fait un bien fou”, con­tin­ue-t-elle. “C’est ce qu’on appelle le tourisme flu­vestre”, abonde Séver­ine Gag­nol, en référence à ce néol­o­gisme inven­té par VNF pour qual­i­fi­er toutes les activ­ités de tourisme ou de loisirs situées directe­ment sur une voie d’eau ou à prox­im­ité immé­di­ate d’une voie d’eau, comme le vélo.

Par­tie prenante de la nou­velle économie touris­tique qui se développe grâce et en par­al­lèle du fleuve, la Loire à Vélo, ouverte en 2012, accueille chaque année 1,9 mil­lion de cyclistes. En 2022, elle a généré 54,5 mil­lions d’eu­ros de retombées économiques, soit 84% de plus qu’en 2015. Des chiffres qui ont de quoi con­forter les pro­mo­teurs d’un développe­ment économique durable, axé autour des mobil­ités douces et de la préser­va­tion du fleuve, dans un con­texte où, en région Pays de la Loire, le tourisme représente le deux­ième secteur de l’économie régionale.

“Prendre un peu son mal en patience”

 

“On aura fait un vrai pas en avant lorsqu’on com­pren­dra que préserv­er le fleuve per­met aus­si de génér­er du prof­it”, con­clut Yves Ménan­teau. Il suf­fit pour cela, assure le mil­i­tant, d’ac­cepter de “faire avec le fleuve, et non con­tre lui”, con­tin­ue-t-il, alors que depuis 2019, le Par­lement de la Loire tra­vaille autour d’une fic­tion juridique qui per­me­tte de don­ner au fleuve une voix et des droits. Des droits que le Ligérien appelle de ses vœux, alors que face aux alertes envi­ron­nemen­tales, amé­nag­er la Loire au détri­ment de son équili­bre est, de toute façon, un luxe qu’on ne peut plus se per­me­t­tre, dit-il : “Les départe­ments du Maine-et-Loire et de Loire-Atlan­tique sont trib­u­taires du fleuve pour les deux tiers de leur con­som­ma­tion en eau potable, et les indus­tries pour leur bon fonc­tion­nement”.

Des pro­pos large­ment cor­roborés par Matthieu Per­raud : “Préserv­er le fleuve peut sus­citer des débats, ce serait hyp­ocrite de pré­ten­dre le con­traire. Nous par exem­ple, avec les travaux de restau­ra­tion du fleuve, ça n’a pas tou­jours été facile et on a dû s’adapter finan­cière­ment, con­fesse le pêcheur. Mais à terme, les béné­fices pour le fleuve comme pour les prochaines généra­tions de pêcheurs sont indé­ni­ables. Il faut juste accepter, par­fois, de pren­dre un peu son mal en patience”, sourit-il. Une per­spec­tive de long-terme, dans le sens du fleuve, et à con­tre-courant de la course effrénée à la crois­sance.